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Adjamé Village, l’un des villages traditionnels de l’ethnie ébrié à Abidjan, a des allures de zone de guerre. Une pelleteuse carbonisée a été abandonnée à l’entrée du quartier. Au sol, des canalisations brisées forment des ruisseaux artificiels. De part et d’autre de l’avenue Reboul, les débris de dizaines maisons détruites sont amoncelés jusqu’à plusieurs mètres de haut. Depuis le Plateau, le quartier des affaires voisin, la Tour F en construction, qui devrait devenir la plus haute d’Afrique, semble toiser la scène.
Jeudi 25 juillet, les habitants d’Adjamé Village ont perdu leur combat face aux agents du district d’Abidjan et aux forces de l’ordre venus les expulser manu militari et détruire leurs habitations pour élargir l’avenue. La suite des opérations a été menée sous protection policière. Comme lors des précédents « déguerpissements » de quartiers précaires menés à Abidjan ces derniers mois, les pelleteuses sont arrivées à l’aube, entre 5 h 30 et 6 heures, selon les témoignages des habitants.
Déjà, des échauffourées entre des jeunes et les autorités avaient éclaté après le début des opérations, dimanche. Mais les habitants, qui ignoraient quand les agents du district reviendraient, pensaient que seuls les étals de commerces informels installés en bord de route seraient concernés. « On s’est réveillés avec des cailloux qui tombaient sur nos têtes, déplore un adolescent en maillot de football aux couleurs de la Côte d’Ivoire. Ils nous ont fait croire qu’ils venaient nettoyer le trottoir, mais ils sont venus casser les maisons des gens. »
Jeudi, des riverains n’ont pas tardé à ériger des barricades pour freiner l’avancée des engins de chantier. Des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent une pelleteuse en feu et des centaines de jeunes hommes repoussant à jets de pierres les agents du district en chasubles orange ou jaunes. « Même pendant les affrontements, ils continuaient de casser, raconte un habitant. Ils tiraient des gaz lacrymogènes pour que la population s’éloigne, puis ils revenaient pour casser encore. »
Des témoignages, corroborés par certaines de ces vidéos, font état d’hommes en civil, cagoulés, affrontant la population aux côtés des agents du district, puis pillant les maisons détruites. « Ce sont des loubards », affirme une dame d’une quarantaine d’années, assise sur ses dernières possessions entassées au sol : « Ils étaient armés, ils avaient des cailloux, des machettes, des gourdins… »
Dans un premier temps, les habitants d’Adjamé Village sont parvenus à repousser hors du quartier les agents du district. Mais en fin de matinée, la gendarmerie a été envoyée en renfort et la rébellion a été rapidement matée. « Qu’est-ce qu’on a fait au gouvernement ivoirien et à l’Etat pour qu’ils viennent nous détruire ?, interroge Jacques N’Koumo, le conseiller principal du chef du village. Nous sommes un peuple pacifique, nous n’avons jamais pris les armes ! »
La chefferie affirme qu’une personne est morte – ce que la morgue ne confirme pas – et que plusieurs autres ont été blessées, dont un jeune homme grièvement, hospitalisé après une fracture du crâne. Les autorités démentent ce bilan et affirment qu’aucune victime n’est à déplorer.
Les opérations de destruction de quartiers jugés illégalement occupés, menées depuis janvier par le district d’Abidjan puis par la primature, à qui le dossier a été confié en mars, ont déjà provoqué des altercations entre les forces de l’ordre et les populations concernées, qui reprochent aux autorités leur brutalité et leur opacité.
Injonctions à quitter les lieux tardives voire inexistantes, indemnisations insuffisantes ou mal distribuées, violence disproportionnée des forces de sécurité… Dans le cas d’Adjamé Village, un courrier portant l’en-tête de l’Ageroute, la société d’Etat chargée de l’exploitation, du suivi et de l’entretien du réseau routier, circule sur les réseaux sociaux. Ce document, daté du 14 mai et portant la signature d’un coordonnateur du projet de transport urbain d’Abidjan, Fousséni Diarrassouba, donne l’ordre à son service de comptabilité de verser 4,3 milliards de francs CFA (6,5 millions d’euros) aux chefs locaux pour compenser les destructions et indemniser les populations déplacées.
Cette somme, Jacques N’Koumo assure que la chefferie ne l’a jamais touchée : « Depuis que l’Etat a entamé les discussions avec nous, en 2016, ils ne nous ont jamais donné un rond. Ceux qui vous disent que nous avons été dédommagés sont de fieffés menteurs. »
L’opération devrait se prolonger sur plusieurs jours à Adjamé Village. D’autres sont encore prévues dans les prochains mois dans les quartiers précaires du district d’Abidjan, qui regroupe les treize communes de cette métropole de plus de 6 millions d’habitants. Le président Alassane Ouattara « nous a instruit de mettre l’accent sur la lutte contre le désordre urbain, la lutte contre l’insalubrité et l’amélioration accélérée des conditions de vie et de travail des populations », a rappelé le 22 juillet le gouverneur du district d’Abidjan, Ibrahima Cissé Bacongo, qui vient de mettre sur pied une brigade spéciale de « lutte contre le désordre urbain » composée de 295 agents.
Marine Jeannin (Abidjan, correspondance)
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